Bouizakarn
En 1956, lors de la fin du Protectorat, Bou Izakarn acquit une bien
triste renommée car c’est dans ce village à la fourche des pistes du Sud, que
fut enlevé le capitaine Moureau, officier des A.I., chef de cercle; affaire qui
eut un énorme retentissement national car il ne fut jamais retrouvé.
Nuit du 22 au 23 juin 1956 : enlèvement du capitaine Moureau
“Moureau, un des officiers les plus anciens et les plus célèbres du
Sud, m’apparaissait comme le Saint-Exupéry des Affaires Indigènes mais un
Saint-Exupéry dont la philosophie, ignorant la recherche et l’habileté,
trouvait ses principes dans la vie simple de tous les jours, la faculté
naturelle de rayonner, la transparence des sentiments, l’humanisme réceptif. Il
était connu de tous et avant de le connaître moi-même, j’avais été frappé de la
place particulière qu’il occupait dans la mémoire et l’affection des musulmans,
tant des mesquines, des mokhaznis, que des cheikhs.
Chacun des officiers des A.I., qu’ils avaient connus, leur avait
laissé le souvenir d’un trait personnel : celui-là aimait les femmes, celui-ci
tirait bien, ce troisième buvait beaucoup; mais quand on leur parlait du
capitaine Moureau de Bou Izakarn, ils hochaient la tête avec respect et
concluaient d’un seul mot : rajel, homme.”
En 1956, alors que les garnisons françaises entreprennent
l’évacuation progressive de leurs postes avancés du Sud marocain, une vingtaine
d’officiers des A.I. restent, pour le compte du gouvernement marocain, dans les
circonscriptions qu’ils administraient avant l’indépendance. Ils y
représentent, sous l’autorité des nouveaux gouverneurs de province, le pouvoir
central.
Là où les hommes au képi bleu doivent quitter leur poste, une
procédure sommaire de passation de pouvoirs est nécessaire. Elle concerne,
notamment, la remise à la nouvelle autorité des magasins d’armes des
“mokhaznis” (auxiliaires indigènes de gendarmerie). Ce transfert va donner lieu
à maints incidents. Le successeur marocain de l’officier d’A.I. n’a pas
toujours l’expérience ou le rayonnement qu’il faudrait en cette aube difficile
de l’indépendance.
Devant les bandes de l’Armée de Libération qui rôdent dans sa
circonscription, il est souvent sans pouvoir et se laisse voler ses armes. Ces
“substitutions” d’armes inquiètent le gouvernement marocain dans la mesure où
elles risquent d’engendrer un début d’anarchie. Elles inquiètent aussi le commandement
français qui craint pour la sécurité des officiers d’A.I. des postes les plus
isolés. Cette inquiétude se concrétisera rapidement par l’enlèvement, le 23
juin 1956, du capitaine Moureau, chef du poste des A.I. de Bou Izakarn, une
figure de légende dans le Sud et de plus tenu en grande estime par le
gouvernement marocain.
La triste histoire de cet enlèvement dans la période trouble de
l’accession du Maroc à l’indépendance a fait l’objet en France d’une
exploitation politique sans précédent, frisant “l’intox”.
Pendant de très nombreuses années, malgré les enquêtes, malgré les
recherches, sa disparition demeura une énigme. De nombreuses hypothèses furent
émises sans qu’aucune ne fut vraiment convaincante : enlèvement par des
éléments incontrôlés de l’Armée de Libération Marocaine ou vengeance d’un de
ses mokhaznis bafoué à la suite d’une histoire de femme.
Avec le temps, des officiers des A.I. en poste à l’époque dans le
Sud marocain, par recoupement à la suite d’enquêtes personnelles effectuées sur
place auprès de leurs anciens administrés, avancèrent une explication qui
semble plausible; cette hypothèse, qui avait déjà été émise quelque temps après
l’enlèvement et qui n’avait pas été reprise par les médias, ne fut jamais
démentie par les autorités marocaines.
Le capitaine Moureau aurait été arrêté sur ordre du caïd Dahman de
Goulimine qui lui reprochait d’avoir joué un rôle déterminant dans une
révocation dont il avait fait l’objet en août 1953. Revenu à sa place avec
l’indépendance, il se serait vengé. Les hommes de main du caïd, chargés de
l’affaire, auraient vigoureusement malmené Moureau au moment de son
arrestation, lui causant plusieurs fractures, dont une, ouverte au bras. Le
prisonnier aurait été transporté à Anja, ancien poste du 22e Goum au Nord de
Bou Izakarn, désaffecté en 1946, et il serait mort d’épuisement, faute de
soins, deux mois plus tard.
Dès lors on s’interroge. Pourquoi tout ce scénario, repris par Jean
Lartéguy dans la vaste campagne de presse qu’il orchestra avec la vigueur qu’on
lui connaît, et qui aboutit d’autre part à la libération du lieutenant Perrin,
chef du bureau des A.I. d’Assa, et de l’adjudant-chef Cacciaguerra, enlevés lors
de l’attaque par les
Marocains du poste de Fort Trinquet, alors que pour Moureau c’était
trop tard.
Des officiers français, ayant enquêté, rappellent à juste titre que
dans les mois qui suivirent l’enlèvement, l’A.L.N. et l’Istiqlal faisaient
jouer sur les souks des saynètes dans lesquelles l’ex-autorité de contrôle
était violemment tournée en dérision. Les scènes du tribunal pénal étaient
particulièrement appréciées, avec les quatre personnages clés qu’étaient le
“capitaine”, le “caïd”, le “chaouch” avec son bâton, et le pauvre hère,
condamné, houspillé et roué de coups. On
sait que dans la région de Goulimine, la tenue et le képi de Moureau furent utilisés
comme accessoires de scène. Ces tristes mascarades pouvaient fort bien accréditer
l’idée, quelques centaines de kilomètres au Nord, à Agadir ou à Marrakech, que
Moureau était effectivement promené de souks en souks. Des renseignements
recueillis à l’époque par le consul d’Espagne à Agadir correspondent à la
version de l’arrestation, de la détention, puis de la mort du capitaine Moureau
à Anja dans un délai de deux mois et sans exhibition sur les souks.
Ce consul aurait rédigé une
plaquette sur “l’affaire Moureau”, plaquette qui, par ordre supérieur, ne fut
jamais éditée.
(en partie d’après un texte de Jean
S. paru en avril 1983)
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